Pizza Dracula
dimanche 19 juin 2011
Any et moi sommes dans le train, celui qui nous fera sortir de la Roumanie et nous transportera jusqu'en Turquie, dans la mystique ville d'Istanbul. Fini les vacances! On commence le vrai voyage, maintenant… Mais avant de parler des projets futurs, je vous raconte tout de même notre périple au pays du célèbre Conte Dracula. Any a fini son stage en géographie dans la chaîne de montagnes des Carpates, plus précisément dans les Făgărăș, en collaboration avec l'Université roumaine de Timișoara. Plusieurs de ses collègues ont repris le chemin du retour pour le Canada, mais certains continuent leur périple pendant quelques semaines, voire quelques mois. C'est ce qu'Any a décidé de faire. Et moi, je la rejoins à la fin de son stage, pour partir à deux découvrir une partie de l'Europe de l'Est et du Proche-Orient. Après un mois de séparation, nous nous retrouvons sur les quais de la sinistre gare d'Orșova, en plein milieu de la nuit. Bien heureux de se retrouver enfin, nous retournons à la pensiunea où elle loge avec Julien, un autre fervent géographe-voyageur.
1er au 3 juin
Le lendemain, nous partons pour Băile Herculane avec ses fameux bains thermiques où, selon la légende, Hercule lui-même se serait baigné lors de l'occupation romaine. L'eau qui coule de la montagne est chauffée naturellement, au grand plaisir des baigneurs qui profitent aussi bien de ses 54 degrés que de son haut taux de souffre, qui se dit guérisseur d'ulcères et de conjonctivites. Je goûte à la cuisine roumaine pour la première fois : les Mici (sortes de saucisses à la viande et aux épices) sont assez bons, même si mes acolytes ne semblent pas particulièrement aimer cette version du met. Rajoutons du sel et du poivre sur tout le reste pour donner un peu de goût, et nous voilà bien remplis! Sinon, on trouve des pizzas assez facilement partout et même une version avec poulet, bacon et oignons, la Pizza Dracula!
4 juin
Le plan était ensuite de partir rejoindre Ana, une collègue géographe universitaire de Timișoara pour gravir les Monts Retezat pendant son weekend de congé. Julien nous quitte cependant vers la Turquie, où il veut passer le peu de temps qu'il lui reste en voyage, renonçant au trek en montagne. Malheureusement pour nous (et heureusement pour Julien), un empêchement nous force à changer notre route vers Sibiu. Quelques heures de train et nous débarquons en soirée dans cette ville très animée en raison d'un festival du théâtre s'y tenant. Bien entendu, aucun lit disponible dans la partie dite vieille ville (Orașul vechi), mais nous trouvons un charmant dortoir juste en-dehors de ses murailles, partagé avec un groupe de 6 allemands. Nous explorons ensuite cette superbe ville aux vastes places publics ceinturées de bâtiments anciens remis à neuf. Les terrasses abondent, les touristes nous cernent, les concerts musicaux se succèdent, tout semble en vie, et ce, jusqu'à tard dans la nuit. Belle ambiance, et bon timing de notre part pour se trouver à Sibiu!
5 et 6 juin
Une autre ville à voir absolument se nomme Brașov. Le début de l'été nous apporte une autre belle surprise : un autre festival! Sur la Piața Sfatului, une scène est aménagée pour recevoir des musiciens, les terrasses sont bondées, les enfants jouent dans la fontaine, bref, c'est l'été! Nous séjournons dans une pensiunea tenue par une gentille dame qui a dû apprendre ses quelques mots d'anglais seulement en étant en contact avec le peu de visiteurs qui viennent occuper ses 3 modestes chambres. Pour nous rendre à la place centrale, nous devons passer par la Strânda Storii (rue de la Corde) qui n'a que 1,32 m de large et 83 m de long, ce qui en fait l'une des rues les plus étroites d'Europe. En soirée, on peut voir sur le flanc du mont Tâmpa les lettres BRASOV éclairées à la façon hollywoodienne. Nous entreprenons de monter ce dernier lors de notre deuxième jour à Brașov. Son ascension est plutôt facile et nous offre une vue époustouflante des environs.
7 et 8 juin
La soif de la randonnée n'a pas été assouvie avec cette petite escapade; bien au contraire, nous avons hâte de goûter à un vrai trek! Direction: Sinaia, au pied du plateau de Bucegi. Une petite visite du fameux château Peleș, où Carol 1er, le Roi Ferdinand, et le Conte Dracula (Vlad Țepeș, personnage historique qui a largement inspiré l'écrivain anglais Bram Stoker pour son roman Dracula, était en effet un conquérant sanguinaire qui avait la curieuse habitude d'empaler ses prisonniers de guerre pour ensuite les regarder mourir lentement…) y ont séjourné, tout comme Richard Nixon et Yasser Arafat en des temps plus récents. Un téléphérique nous mène à Cota 2000, le point de départ des randonnées. Encore une fois, notre timing est parfait; la saison morte n'attire aucun autre touriste que nous deux et nous évitons les orages de l'été, tout comme le froid et les vents violents de l'hiver. Quoi demander de mieux! Une chambre de luxe à petit prix, avec des hôtes hyper accueillants? Pourquoi pas! C'est donc 2 journées complètes que nous passons sur ce superbe plateau en altitude, à parcourir une trentaine de kilomètres au total. Au sommet Babele, on observe des structures étranges formées par l'érosion du vent et du sable, qui viennent briser la monotonie des vastes plaines. Les photos parleront d'elles-mêmes.
9 au 13 juin
Nous voilà satisfaits, mais encore assoiffés! Ça tombe bien, Ana que nous n'avons pu rencontrer une semaine auparavant nous annonce qu'elle serait disponible pour passer le weekend dans les Retezat, et que de plus, lundi se trouve à être un jour férié national. Malgré notre grande distance, nous retraversons la moitié du pays en train pour retrouver Ana et son mari Dani à Caransebeș. Cette ville est toute sauf touristique! Nous montons notre tente dans un parc urbain et la police nous avertit quelques minutes après. Je crois que le jeune policier était en quelques sortes content de nous voir pour pratiquer son anglais. Non seulement nous n'avons pas eu d'amende, il nous a même été utile comme guide touristique! Après quelques bières et quelques Mici dans un bar local, le charmant couple roumain arrive enfin et nous nous dirigeons vers un chalet se trouvant au pied de la chaîne de montagnes. Une bonne nuit de sommeil dans un lit digne de ce nom (en opposition au plancher de la gare, la nuit précédente) et nous partons en matinée avec le strict minimum (sauf pour moi avec mes quelques kilos en trop de stock photo) pour les montagnes. La température n'est pas de notre côté, un brouillard nous bloque la vue à une distance de 30 m maximum. Pas l'idéal pour profiter du panorama d'un sommet de 2509 mètres! Nous rebroussons chemin pour nous installer dans la gentille Cabană Gentiana, déjà à 1650 m d'altitude. Nos repas sont assez simples, un mélange de tout ce que l'on a pu apporter: saucissons, fromage, pain, chocolat, fruits et légumes. Rien de chauffé, et surtout pas de café pour les universitaires lève-tôt en manque de caféine! Le brouillard est dissipé au matin et nous partons rejoindre le col entre un cirque polaire moutonné et la vallée Pietrele, accompagnés de trois Hongroises en vacances. Après une petite pause, nous voilà repartis pour le sommet Peleaga. Sur notre chemin, des couloirs d'avalanches suscitent l'intérêt de nos deux spécialistes du sujet, Any et Ana (c’était ce sujet précisément qui était étudié lors du stage). Tout en-haut, le ciel s'est dégagé pour nous offrir une vue splendide sur l'immensité qui nous entourait. Après un lunch au sommet, nous redescendons sur un autre flanc pour reprendre un chemin différent et contourner le Bucura, un lac glaciaire. Certains ont installé leur tente et projettent de faire face aux éléments en passant la nuit dans la plaine en haute altitude. Dans notre cas, il faut déjà reprendre la route vers la Cabană Gentiana avant la tombée de la nuit et de la pluie. Le tenancier de la cabane est un sympathique vieil homme qui semble adorer les weekends d'été, où il peut briser sa solitude de montagnard en blaguant avec les randonneurs. Son sens de l'humour est assez particulier et il n'hésite pas à dire, par exemple, aux filles de retirer leur pantalon s'il fait trop chaud… Ses seuls mots anglais dans son répertoire: Please, my darling!
14 et 15 juin
Ana et Dani se sont donné comme mission de nous traiter comme des rois et nous invitent à venir passer deux ou trois jours chez eux à Timișoara. Any et son amour pour cette ville lors de son stage ainsi que ma curiosité nous pousse à accepter l'offre, malgré notre léger inconfort vis-à-vis le traitement de demi-dieux que nous recevons. Ils ont insisté pour nous offrir les repas (excepté un seul au restaurant où j'ai su jouer d'une ruse pour payer l'addition avant eux), le transport, l'aide pour nos achats, la clé de leur appartement, et même leur propre chambre! De notre côté, nous leur avons offert une modeste canne de sirop d'érable un peu bosselée par le transport des deux dernières semaines, et nous gardons en tête de leur rendre la pareille lors de leur future visite au Canada. Je ne peux pas voir comment on aurait pu nous montrer aussi bien la beauté de la Roumanie sans cet échantillon de bonté et d'accueil incroyable. Merci à vous deux! Pour ce qui est de Timișoara, elle dégage une belle énergie de renouveau. C'est d'ailleurs ici qu'a eu lieu la Révolution de 1989, non sans violence, mais qui a su mettre fin au régime de Ceaușescu. Plus d'un millier de citoyens ont péri des balles de l'armée sur la Place de l'Opéra avant que l'armée elle-même ne se range graduellement du côté du peuple. Aujourd'hui, on se promène dans ses rues et pouvons encore voir les trous de balles visibles sur les parois de certains édifices, laissés intacts pour bien montrer la trace du communisme. Les noms des rues sont aussi éloquents: « Str 20 Decembrie 1989 », « Boulevardul Revoluției 1989 », « Boulevardul 16 Decembrie », etc. Malgré tout, les Roumains semblent bel et bien sortis de la noirceur, car la ville respire aussi la jeunesse, grâce entre autres à l'Université. La nouvelle génération post-communiste côtoie ainsi au quotidien les vestiges du passé, non sans, je l'espère, en tirer des conclusions constructives.
16 et 17 juin
C'est donc en laissant la Roumanie derrière moi que je traverse le Danube, à bord du train qui va vers le sud. Je garde en mémoire les personnes rencontrés, les paysages, et la beauté du renouveau post-noirceur. Tous des aspects que l'on ne soupçonne pas de la Roumanie. Je n'aurais jamais imaginé que ce pays avait tout ça à m'offrir. Il ne faut pas nécessairement aller dans les endroits dit « exotiques » pour expérimenter l'incroyable. Bref, la Roumanie, un pays chaleureux, vaste, et rempli de promesse. Je vous le conseille! La langue roumaine, vous l’aurez deviné, a suscité mon intérêt lors de mon séjour en son territoire. Quelqu’un m’a un jour dit qu’elle était parmi les plus difficiles à apprendre à cause de ses sonorités propres à elle-même et ses multiples origines linguistiques. Cette personne avait tort. Le roumain, à l’oreille, nous évoque un italien quelque peu moins lyrique, avec de subtiles influences slaves (oui = da). Sa grammaire est équivalente en termes de complexité à l’espagnol, et son vocabulaire comporte énormément de liens avec le français en raison de sa base latine. En deux semaines, je n’ai évidemment pas eu assez d’apprentissage pour pouvoir tenir une discussion, mais j’ai tout de même pu me débrouiller avec les verbes importants et un peu de vocabulaire, tout ça assemblé de façon suffisante à me faire comprendre! Aș dori să comand micul dejun pentru maîne dimineața, vă rog. (« Je voudrais commander le petit-déjeuner pour demain matin, svp. » première phrase apprise, choisie au hasard dans mon guide.) Le train de Bucarest jusqu'à Istanbul dure 20 heures. Nous « skippons » la Bulgarie. Même pas un arrêt à Sofia. Nous partageons notre cabine à couchettes avec un californien fort sympathique avec qui nous partageons vin, țuică (alcool fort à base de prune), pain, saucisson et bonnes discussions. On pourra toujours dire qu'on a eu du plaisir en Bulgarie! Nos impressions de la Turquie dans le prochain blog.
Remarquez les quelques photos de la Dacia 1300, véritable icône du passage de l’industrie russe. Malgré les années écoulées, elle est toujours en circulation et surtout, présente en grand nombre. Elle est pour moi une partie du pays au même niveau que les montagnes, les Roumains et les édifices aux multiples styles architecturaux. Je me suis renseigné pour connaître son prix, pas plus de 500 euros, mais impossible de la sortir des frontières...! Mais d’où me vient cette curieuse manie de vouloir me déplacer avec les moyens de transport symboliques de chaque pays que je visite ?!
Haut de la page